jeudi 27 septembre 2012

Famine dans la Corne de l’Afrique : dans les griffes d’un désastre humanitaire. (Été 2011)


Famine dans la Corne de l’Afrique : dans les griffes d’un désastre humanitaire. (Été 2011)

Le spectre de la famine est de retour dans la Corne de l’Afrique. Cette région est devenue, depuis cet été 2011, le théâtre d’un désastre humanitaire de grande envergure. Selon l’Office des Nations Unies chargé des affaires humanitaires (OCHA), 13,3 millions d’habitants de Somalie, du Kenya, de Djibouti, d’Ethiopie, et sans doute de l’Erythrée sont frappés par l’une des pires sécheresses depuis plus d’un demi-siècle, pâtissant ainsi d’une malnutrition inquiétante. En Somalie, la situation est d’autant plus critique, car aggravée par des conflits armés. Retour sur une tragédie humanitaire qui s’empare de ces pays, déjà en proie à des crises politiques et sociales.

Les causes de la famine : Voyage au bout de la crise alimentaire.

Plus de 13 millions de personnes souffrent, selon l’ONU, de « la plus grave crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique. » Selon Philippe Hugon, spécialiste de l’économie africaine à l’Institut français des relations internationales et stratégiques, l’IRIS, « il est difficile d’évaluer la gravité de ce type de situation, certains auteurs ayant tendance à gonfler les chiffres, mais tout laisse cette fois penser à une crise majeure. »
Sécheresses et pluies irrégulières, productions agricoles désastreuses et flambée des prix des denrées alimentaires ont été, ces derniers mois, un coup de semonce dans la Corne de l’Afrique. Jamais cette région n’avait affronté auparavant une crise alimentaire d’une telle ampleur. A la raréfaction de l’eau et des surfaces arables et à la hausse des prix des matières premières, s’ajoutent les ravages causés par les dérèglements climatiques. En effet, l’élément déclencheur de ce drame humanitaire est lié au grave épisode de la sécheresse qu’a connue la région depuis plusieurs mois. Cette sécheresse- la pire depuis 60 ans selon l’ONU- est engendrée ou plutôt accentuée par un réchauffement climatique imminent. Dans cette perspective, Chris Funk, chercheur au Réseau d’alerte avancée des famines, FEWS NET, souligne que « le réchauffement de l’Océan indien induit par les changements climatiques  est associé à un assèchement de l’Est de l’Afrique de mars à juin, accentuant l’effet de la Niña [événement associé à de faibles précipitations dans la Corne de l’Afrique d’octobre à décembre], de sorte que l’automne 2010 et le printemps 2011 avaient une forte probabilité de détériorer les pluies de façon continue. » Hervé le Treut, climatologue au CNRS, explique quant à lui, que le réchauffement climatique peut contribuer à modifier le climat dans cette région. « Depuis 20 ans, la température des océans augmente, et les océans ont une forte influence sur les climats tropicaux (…) Nous savons que, de manière générale, si nous produisons des gaz à effet de serre, les risques de sécheresse augmentent dans les zones semi-arides comme la Corne de l’Afrique. »
La détresse dans laquelle sont plongés ces millions d’êtres humains est donc due à des pluies quasiment inexistantes dans cette région de l’Afrique. Résultat, les récoltes agricoles se sont effondrées et les prix  sur les marchés envolés. Jamal Saghir, Directeur du développement durable pour la région Afrique à la Banque Mondiale, estime que « les variations internationales des prix de la nourriture provoquent des « chocs alimentaires » plus fréquents et plus longs et menacent la sécurité. Entre 2005 et 2010, le prix des céréales a doublé par rapport à la période 1990-2005. Celui du sucre a triplé. Celui du riz, quadruplé. Nous estimons qu’à cause de la flambée des prix, 44 millions de personnes ont sombré dans la pauvreté. Elles s’ajoutent au 1,2 milliard qui vivait déjà sous le seuil d’extrême pauvreté.»
L’ONU déclare qu’en Ethiopie, l'indice des prix à la consommation pour l'alimentation a augmenté de près de 41% en mai, et la hausse la plus frappante touche la Somalie : 270% d'augmentation des prix sur la même période. Du reste, la FAO note dans un rapport publié en juillet dernier, que plusieurs raisons expliquent cette volatilité des prix, dont notamment la diminution des stocks alimentaires, leur distribution inégale et la fermeture des exportations durant les crises. Wolfgan Fengler, économiste à la Banque mondiale, conclut, en somme, que ce drame humanitaire est  « l’œuvre des hommes », le corollaire de prix significativement élevés de la nourriture et de l’énergie.

La Somalie, « épicentre de la crise ».

«La Somalie est le théâtre de crises récurrentes. Mais celle qui sévit aujourd’hui fait partie des pires de ces dernières années », résume Robert McCarthy, conseiller régional de l’Unicef en Afrique de l’Est et du Sud. Ayant déjà connu une crise alimentaire dans les années 1990, la Somalie bascule aujourd’hui dans un drame de sécurité alimentaire sans précédent. En effet, en raison de deux saisons de faibles pluies, la production de fruits, de maïs, de sorgho et de pommes de terre a régressé et le bétail dépéri. Conséquence : la population , qui vivait déjà sous le seuil d’extrême pauvreté, s’est encore enlisée dans la misère et continue d’affluer dans les pays limitrophes.
Mais, la crise alimentaire a dégénéré en catastrophe humanitaire en Somalie. A la sécheresse, s’ajoutent des conflits armés qui rendent le quotidien de la population somalienne épineux. En effet, le pays n’a cessé de faire parler de lui ces dernières années. Marqué par de violents combats entre le gouvernement de transition et les insurgés Shebab affiliés à Al-Qaïda, le pays porte les stigmates de vingt années de guerre civile. Les miliciens islamistes Shebab contrôlent la majeure partie du sud de la Somalie et environ la moitié de la capitale Mogadiscio alors que le gouvernement de transition est soutenu à bout de bras par la communauté internationale. La Somalie est maintenant un pays failli, sans armée ni institutions mais également un terreau fertile pour la piraterie et le fondamentalisme. Cette absence d’Etat central depuis 1991 pose un problème aux grandes agences internationales. En 2009, les Shebab ont déclaré que le Programme alimentaire mondial était non grata dans les zones qu’ils contrôlaient, puis ont poussé au départ des ONG. Roland Marchal, chercheur et spécialiste de la Somalie, affirme que « Le gouvernement de transition, adoubé par la communauté internationale, ne vaut guère mieux que les Shebab. En sept ans, il a été incapable d’installer une administration. L’armée s’est décomposée localement en petits groupes. » Pour fuir la guerre civile, les Somaliens se réfugient au Kenya, rendant la région encore plus fragile.
Il convient de rappeler qu’en 1992, après une famine dévastatrice et la guerre civile en Somalie, les pays occidentaux y sont intervenus militairement au nom du droit d’ingérence humanitaire, pour enrayer la tragédie de la famine. Il s’agit de l’opération « Restore Hope », qui a pourtant été vouée à l’échec. En 2011, ces mêmes pays éprouvent des difficultés quant à l’éradication de la famine dans ce pays fragilisé par la pauvreté, la sécheresse et le chaos politique. Jean Cyril Dagorn de l’Organisation Oxfam France, note que, lors du Sommet de la FAO en novembre 2009, les chefs d’Etats occidentaux s’étaient engagés à éradiquer la faim dans le monde (…) ayant promis de verser 22 milliards sur trois ans pour la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, seulement 26% des fonds ont été dépensés. » Toutefois, les Shebab, qui jusque-là interdisaient aux ONG occidentales d’accéder aux zones qu’ils contrôlent, ont semblé se rendre compte de l’urgence et ont donc levé leur interdit. C’est ainsi que le 13 juillet dernier, l’ONU a pu procéder à la livraison de quelques tonnes de médicaments, de vivres et de matériels
Cependant, le monde semble tourner le dos à ce pays qui ne cesse de sombrer dans le chaos. D’une « Perle blanche de l’Océan indien », la Somalie est devenue un pays tellement dévasté que les organisations humanitaires parlent d’une Somalie « impraticable ».

Les oubliés de la famine.

La Somalie a attiré, à juste titre, beaucoup d’attention. Mais en fait, toute la Corne de l’Afrique vit le drame qui se joue en Somalie. L’Ethiopie, où quatre millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire, fait partie des pays les plus touchés par la sécheresse. Dans le camp de Dolo Ado, situé dans le Sud du pays, plus de 78 000 personnes, la plupart fuyant la Somalie voisine, viennent s’y réfugier. Mais, bien que les conditions y soient, peut-être, plus propices, il n’en demeure pas moins que 41% des populations affaiblies souffrent de malnutrition, de maladies chroniques et peinent à accéder à l’eau. Afin d’éviter le spectre de la grande famine qui a rongé le pays entre 1984 et 1985, le gouvernement éthiopien poursuit désormais une stratégie agricole, en favorisant des investissements dans le matériel agricole, les fertilisants et les infrastructures. Pourtant, cette politique qui bien que promouvant la production, n’a pas réussi à endiguer la grande sécheresse qui sévit le pays.  Par ailleurs, à un moment où la crise alimentaire est à son paroxysme, le gouvernement éthiopien loue à des investisseurs étrangers des terres cultivables, dont les récoltes sont destinées à l’exportation. En effet, les compagnies étrangères produisent des agrocarburants, minant ainsi les faibles ressources en eau disponibles pour l’agriculture vivrière.
Outre l’Ethiopie, l’Erythrée, ancienne région éthiopienne qui a fait sécession en 1991, vivrait,  «des conditions probablement similaires à la sécheresse » qui traverse la Somalie, le Kenya ou l’Ethiopie, comme le soutient Johnnie Carson, Secrétaire d’Etat américaine adjointe aux affaires africaines. Or, le gouvernement érythréen, niant toute existence de famine dans le pays, a insisté, par la voix du conseiller du Président, Yémen Ghebreab, qu’ « il n’y a pas de pénurie alimentaire à l’heure actuelle, car la récolte de l’année dernière a été exceptionnelle. » Il est, en fait, difficile de connaître davantage sur les doutes qui planent sur la situation de la population, d’autant plus que le Programme Alimentaire Mondial a quitté le pays depuis six ans. Pourtant, le bureau de la Croix-Rouge dans la capitale érythréenne, Asmara, affirme que les pluies n’ont pas été abondantes cette année. Pour sa part, l’Organisation des Nations Unies, incapable d’affronter le silence des autorités érythréennes, a classé le pays « à risque », dans son plan de crise pour la Corne de l’Afrique. Les institutions d’aide alimentaire qui ne donnent pourtant pas de chiffres exacts, militent, quant à elles, pour que le gouvernement de ce pays consente à collaborer pour la réalisation d’une mission d’évaluation qui mesurera l’impact de la sécheresse, afin de pourvoir aux besoins de la population érythréenne.

Réactions de la communauté internationale.

Le Directeur de la FAO, Jacques Diouf, a annoncé, le 18 août dernier à Rome, lors d’une réunion technique de suivi sur la sécheresse, qu’ « il est inadmissible qu’à notre époque, avec les ressources financières, les technologies et l’expertise à notre disposition, plus de douze millions de personnes risquent aujourd’hui de mourir de faim. » Et d’ajouter : « Des plans d’investissement complets et déjà approuvés sont disponibles, mais c’est leur financement qui fait défaut. Si les gouvernements et leurs partenaires donateurs n’investissent pas maintenant, la famine épouvantable que nous tentons de combattre maintenant reviendra et ce sera une honte pour la communauté internationale. »
L’ONU a lancé un appel d’urgence à plus de contributions à son fonds de lutte contre la famine dans la Corne de l’Afrique, jugeant nécessaire une aide alimentaire qui avoisine les 2,4 milliards de dollars, alors que 1,1 milliard de dollars doit encore être financé. L’Union africaine a mobilisé, le jeudi 25 août, à l’occasion d’une conférence des donateurs africains qui s’est tenue à Addis Abeba, une aide de 356 millions de dollars, alors que l’Union européenne s’est engagée à verser plus de 680 millions d’euros d’ici 2013. Le Royaume-Uni a, pour sa part, déclaré qu’il verserait 52,5 millions de livres et le Canada s’est, de son côté, engagé à fournir une aide alimentaire de 50 millions de dollars. Quant à l’Organisation de coopération islamique (OCI), elle a promis d’apporter une aide de 350 millions de dollars à la Somalie.
Mais pour assurer une sécurité alimentaire et éviter ces épisodes de famine à l’avenir, il est nécessaire de penser, non seulement à des aides financières d’urgence, mais aussi et surtout à des solutions à long terme. Comme le souligne Sylvie Brunel, géographe et ancienne présidente d’Action contre la Faim, « seul l’investissement dans le secteur agricole, la mise en place de filières efficaces et la rémunération correcte des cultivateurs et des éleveurs permettent de faire disparaître la faim. Une sécheresse fonctionne comme un révélateur qui n’engendre la famine que s’il y a des dysfonctionnements préalables. » Ainsi, l’amélioration des politiques publiques de l’irrigation et des techniques agraires dans les pays en développement, le soutien des agricultures fragiles et l’existence de réserves mondiales d’urgence sont autant de mesures qui contribueraient donc à lutter d’une manière efficace et à long terme contre les famines et sécheresses. Désormais, l’actualité sur cette crise alimentaire aiguë permet aux populations les plus fragiles de la Corne de l’Afrique de retrouver une place dans le débat public.

jeudi 29 juillet 2010

mercredi 29 juillet 2009

"L'absurde" d'Albert Camus.

Voici un extrait du livre de Camus, "Le mythe de Sisyphe", que j'apprécie beaucoup. J'ai, en fait, toujours adhéré à cette vision des choses.

" Voici des arbres et je connais leur rugueux, de l'eau et j'éprouve sa saveur. Ces parfums d'herbe et d'étoiles, la nuit, certains soirs où le coeur se détend, comment nierais-je ce monde dont j'éprouve la puissance et les forces? Pourtant toute la science de cette terre ne me donnera rien qui puisse m'assurer que ce monde est à moi. Vous me le décrivez et vous m'apprenez à le classer. Vous énumérez ses lois et dans ma soif de savoir, je consens qu'elles soient vraies. Vous démentez son mécanisme et mon espoir s'accroît. Au terme dernier, vous m'apprenez que cet univers prestigieux et bariole se réduit à l'atome et que l'atome lui-même se réduit à l'électron. Tout ceci est bon et j'attends que vous continuiez. Mais vous me parlez d'un invisible système planétaire où des électrons gravitent autour d'un noyau. Vous m'expliquez ce monde avec une image. Je reconnais alors que vous êtes venu à la poésie: je ne connaîtrai jamais. Ai-je le temps de m'en indigner? Vous avez déjà changé la théorie. Ainsi cette science qui devait m'apprendre finit dans l'hypothèse, cette lucidité sombre dans la métaphore, cette incertitude se résout en oeuvre d'art. Qu'avais-je besoin de tant d'efforts? Les lignes douces de ces collines et la main du soir sur ce coeur agité m'en apprennent bien plus. Je suis revenu à mon commencement. Je comprends que si je puis, par la science, saisir les phénomènes et les énumérer, je ne puis pour autant appréhender le monde. Quand j'aurais suivi du doigt son relief tout entier, je n'en saurais pas plus. Et vous me donnez à choisir entre une description qui est certaine, mais qui ne m'apprend rien, et des hypothèses qui prétendent m'enseigner mais qui ne sont point certaines. Etranger à moi-même et à ce monde, armé pour tout secours d'une pensée qui se nie elle-même dès qu'elle affirme, quelle est cette condition où je ne puis avoir la paix qu'en refusant de savoir et de vivre, où l'appétit de conquête se heurte à des murs qui défient tous les assauts (...)

Dans cet univers indéchiffrable et limité, le destin de l'homme prend désormais sons sens. Un peuple d'irrationnels s'est dressé et l'entoure jusqu'à sa fin dernière. Dans sa clairvoyance revenue et maintenant concertée, le sentiment de l'absurde s'éclaire et se précise. Je disais que le monde est absurde et j'allais trop vite. Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut dire. Mais, ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Il est pour le moment le seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme la haine seule peut river les êtres. C'est tout ce que je puis discerner clairement dans cet univers où mon aventure se poursuit."

mardi 28 juillet 2009

Le Jazz, une culture afro-américaine (Conclusion).

Bénéficiant du charisme de personnalités et d'artistes particulièrement novateurs et influents, le Jazz est devenu un chaînon essentiel de la musique populaire américaine.

Né aux Etats-Unis au début du XXe siècle, le Jazz est issu du croisement du blues, du ragtime et de ces musiques européennes. Il est sans conteste la première forme artistique à s'être développée aux Etats-Unis. Il a beaucoup évolué durant ce siècle: depuis le bebop de Dizzy Gillespie et Charlie Parker à New York au Free Jazz de l'Art Ensemble de Chicago, en passant par la Fusion de Miles Davis et Herbie Hancock; le Jazz est aussi devenu planétaire.

De nos jours, le Jazz devient de plus en plus métissé, intégrant des influences hindoues, gitanes, africaines et occidentales. Le Festival de Jazz de Tanger, "Tanjazz", qui s'est ouvert du 10 au 14 juin 2009, témoigne de ce métissage culturel.

Comment comprendre, pour en revenir aux origines, que des opprimés quasi-illettrés, chantant de manière dissonante que "le bateau est en aval sur le sable; il ne cale pas beaucoup mais j'ai bien peur qu'il n'arrive jamais", finirent par être entendus et écoutés par un public de tous horizons, fût-ce après un itinéraire historique dont on ne peut nier la douleur?

lundi 27 juillet 2009

Le Jazz, une culture afro-américaine (Part. 2).

II- Une esthétique afro-américaine.

A- Langage "jazzistique".

Contrairement à une idée fort répandue, le musicien de Jazz ne doit pas forcément instaurer un langage nouveau. Le Jazz s'est transformé et il faut qu'il se transforme sous peine de devenir exsangue. Il s'agit pour le musicien de faire une oeuvre nouvelle, autre que celle d'hier.

Cela dit, il serait erroné de croire que chaque évolution du Jazz consigne l'oubli des formes anciennes. Au contraire. Le musicien de Jazz inscrit toujours sa démarche en lien avec la mémoire de cette musique, voire l'ensemble de la musique noire. C'est ainsi que le batteur Marvin Smith, dit "Smitty", parlait "d'embrasser tout le spectre de la musique américaine, de réaliser une synthèse des styles (...); puis de créer quelque chose de nouveau." Toute l'histoire du Jazz confirme, en fait, cette réalité. Dès le début des années cinquante, le courant "be-bop" puisait dans des formes (gospel, blues) ou de tournures classiques (accords "churchy"). Le Free-Jazz a lui-même abondamment accueilli l'ensemble du Jazz.

Mais, on doit convenir qu'il est toujours possible de se forger son identité musicienne en tant que Jazzman. L'objectif affirmé de tout instrumentaliste est d'inventer de nouveaux discours musicaux, de créer une musique originale par l'écriture de nouveaux morceaux; par la réecriture rythmique de standards du passé; par le choix de sonorités nouvelles, grâce à l'utilisation différente d'un instrument.

La mélodie et son interprétation sont considérées comme secondaires; l'essentiel de l'énergie étant consacré aux moments d'improvisation, à l'écriture de compositions ou d'arrangements. La mélodie servira à clore ce moment d'improvisation collective, à mettre en relief sa qualité. Mais, c'est par l'originalité rythmique, harmonique ou sonore que les instrumentalistes disent atteindre plaisir et émotion du public. Dès lors, une bonne maîtrise de l'instrument et une relative virtuosité permettent seules au musicien de s'exprimer. De même, posséder une culture Jazz solide protège contre le risque de répéter ce qui a été déjà fait, de jouer des clichés. Ce niveau musical permet de s'amuser avec le répertoire et d'en créer un nouveau en toute liberté.

Par ailleurs, chanter suppose d'interpréter des thèmes, des mots que portent les mélodies et de raconter des histoires au public. Le travail musical est mis au service d'un texte qui raconte, qui est le support des émotions. En effet, les musiciens de Jazz, dans leur grande diversité, partagent les mêmes idéaux musicaux. Le Jazz est associé à une recherche de liberté, d'émotion et d'authenticité. La musique jouée correspond à une volonté permanente de liberté. Ce que l'homme veut dépasser dans le Jazz, c'est son aliénation, son humiliation. La liberté qu'il réclame que la musique demander, est la liberté d'exister en tant qu'artiste. Amiri Baraka, écrivain afro-américain, a déclaré que: "L'omniprésent appel à la libération- Free jazz, freedom now: We insist! Let freedom ring, Freedom Jazz Dance...-témoigne de ce sentiment, de cette tentative pour jouer et être (...) La liberté est et sera la philosophie, l'esthétique et le coeur social des Afro-américain". Duke Ellington a affirmé, pour sa part, que le "Jazz est liberté. Liberté de jouer toutes choses. Et la liberté est un mot qui a fondé notre pays."

Au demeurant, le jazz est également un art de la Vérité. Comme l'a affirmé Art Blakey, l'un des précurseurs du be-bop: "Si en frappant le tambour, vous atteignez l'âme humaine, l'assistance saure reconnaître la vérité dans ce que vous exprimez (...) La chose la plus importante est la vérité d'un authentique sens de la vie et d'apprendre à exprimer cela à travers l'art."

Le discours jazzistique possède ainsi aussi bien le niveau de narration (l'histoire en elle-même) que le niveau poético-métaphorique. Du reste, le Jazz est basé sur deux types de significations: le premier est strictement musical et sa référence se développe à l'intérieur d'un contexte social bien déterminé. Le Jazz possède, en effet, de nombreux sens référentiels, de nombreuses valeurs connotatives, qui varieront selon les différentes façons dont il se manifeste dans le discours, dans les valeurs culturelles dominantes.

Enfin, un autre aspect à développer est delui de l'oralité. Cette musique afro-américaine a toujours été une réponse contre la technologie et les sons électroniques, une tentative pour maintenir les expériences et les enseignements de la tradition. C'est essentiellement une musique acoustique, qui comme d'autres musiques traditionnelles (par exemple, le Flamenco) trouve son essence dans la notion de tribu, de patrie, de famille; ce qui permet la transmission de la connaissance grâce à l'oralité.

B- Des notes de "Gospel" et de "Blues"

Les origines véritables du Jazz se trouvent donc dans la musique des esclaves noirs. Cette musique était sacrée. Les chants qu'on appelle "Spirituals" sont nés au sein de l'Eglise invisible, chantés par des Africains qui se rencontraient dans des lieux secrets pour prier Dieu, de façon à ce que leur propriétaire ne s'en aperçoive pas.

Les chants spirituals avaient pour thème central la souffrance. On y dénotait une misère profonde, mais aussi une grande espérance. En fait, les sonorités sont les mêmes pour les genres sacrés et profanes.Les spirituals et le jazz commencent avec une profonde misère, la servitude du péché et terminent avec un grand espoir, la gloire de l'évangile. De nos jours, l'Eglise utilise le Jazz, en prenant ses ingrédients, des mélodies, pour les arranger en des chants d'adoration et de confession. Duke Ellington a écrit des concerts sacrés, comme par exemple "Come Sunday", "Heaven" ou "The Lord's Prayer". Mary Lou Williams, pianiste féministe du Jazz, a également écrit une messe, rythmée de Gospel avec une atmosphère de Jazz.

En outre, Louis Armstrong, Hank Jones, Cyrus Chestnut, etc. ont modelé les "Spirituals" et la musique "Gospel" en musique de Jazz. Dizzie Gillespie a noté, à cet égard: "Comme pour la plus part des musiciens noirs, ma première source d'inspiration rythmique et mélodique fut religieuse. L'Eglise sanctifiée a eu sur moi une influence déterminante, comme plus tard sur James Brown ou Ray Charles."

Au regard de l'influence du Blues sur le Jazz, force est de constater que celui-ci ne peut exister sans celui-là. Les Jazzmen Jelly Roll Morton, King Oliver et Louis Armstrong ont fait du Blues une base de leurs créations. Le Blues est issu des chants de travail (worksongs). Ce sont de simples mélopées, que les esclaves chantaient pour alléger leurs journées de travail forcé et rythmer ainsi leur travail. Ces chants reposaient sur un principe "phrase-réponse", d'origine africaine, rassemblant l'énergie du travailleur. La structure du Blues est fonction de trois accords, qui s'appuient chacun sur un degré bien déterminé (une note) d'une gamme de base (en DO, en LA, en FA, etc.). Ils se succèdent et se répètent selon un ordre immuable.

Si le Blues est une structure musicale parmi d'autres au sein du Jazz, il est aussi un état d'esprit très présent dans le Jazz en général. Ce qui a conduit un critique américain, Leonord Feather, à affirmer: "Le Blues est l'essence du Jazz, et le simple fait d'être sensible au Blues indique qu'on l'est à l'art."

L'influence du Blues sur le Jazz est tellement patente que l'on a vu poindre un nouveau style musical, qui combine les deux, à savoir le "Jazz-Blues". Ce styke puise ses racines dans le blues, mais incorpore les rythmes et mélodies du Jazz. Les principaux artistes de ce style sont le pianiste More Allisson, le guitariste Lonnie Johnson ou encore le pianiste Ray Charles.

Le Jazz, une culture afro-américaine (Part. 1).

I- Une histoire du Jazz.

A- Le Jazz, orphelin de l'Afrique.

Les historiens du Jazz commencent souvent par en décrire les origines: traite des esclaves sur le sol africain et traversée de l'Atlantique avant leur vente au Nouveau Monde. Les esclaves emportaient avec eux leur musique sur des "bateaux-négriers", où seuls survivaient les plus résistants: leurs instruments et chants. Comme l'affirme Dubois, "Les chants et les refrains d'alors n'avaient qu'un cri: la liberté!"

La déportation de milliers d'Africains dans les colonies du Nouveau Monde, de même que leur longue et terrible servitude n'avait pu que produire des effets de déculturation ou de "désafricanisation", qui ne laissèrent aux Noirs, devenus Américains par la force des fers et bête de somme par la loir du marché que l'horizon linguistique, religieux , esthétique et, en l'occurence, musical des Blancs. Bref, ils n'avaient pu qu'adopter la culture et la religion de leurs maîtres, en embrassant leur langue et en subissant leur fouet. Rien de ce qui rappelait l'Afrique ne pouvait donc rester ancré dans la mémoire collective des Africains, déportés et asservis; d'autant plus que tout lien ethnique, langagier et familier était systématiquement brisé, dès le débarquement dans leur nouvel espace. Randy Weston, pianiste, a affirmé en 1926: "les gens qui nous amenés en Amérique n'étaient pas très à l'aise avec notre musique, surtout avec les tambours. Ils svaient qu'avec ceux-ci, on pouvait communiquer. Pour éviter cette communication, ils les avaient strictement interdit." Aussi, les esclaves avaient-ils transposé les rythmes qu'ils ne pouvaient jouer au tambour, dans le piano, la trompette, le saxophone-dans des instruments européens.

Utilisant des instruments africains (mélodiques, rythmiques et instrumentaux), mais pratiquand également dans leur nouvel environnement un véritable brassage culturel, les descendants des esclaves africains ont repris toutes sortes de formes musicales, issues de cultures européennes (hymne religieux, fanfares, ballades, etc.) afin d'inventer des styles musicaux originaux.

Il existe ainsi des éléments communs aux musiques africaines et afri-américaines: filiation entre les voix des chants rituels africains et les cuivres des orchestres de Broadway, ou entre les percussions africaines et le banjo afro-américain. Ces éléments communs ont pu persister sur le sol américain, étant matérialisés soit dans des objets-les instruments-, soit dans des corps-ceux des esclaves déportés.

Les musiques de Jazz sont ainsi pensées dans leur tiraillement entre deux modes d'expression: l'un porteur de la mémoire collective des Afro-américain, "constituée de rage et d'imprécation, d'insultes et de coups"; l'autre étant destiné au diverstissement populaire et livré à l'appréciation d'une critique blanche et bourgeoise, prescriptive de normes et relevant d'une entreprise de "colonisation" culturelle. D'abord méprisées, censurées par l'Amérique blanche, les musiques noires furent parodiées, puis adaptées comme musiques de danse. Ce Jazz "colonisé" provoqua, cependant, des réactions sur la scène musicale, dont les boppers furent les précurseurs.

B- Evolution des styles.

Le Jazz est issu de plusieurs courants. A travers le folklore vocal, spiritual et blues et quelques souvenirs de percussions africaines, fut élaboré un certain nombre de thèmes qui appartiendront en propre à la musique afro-américaine. Ce folklore surgit simultanément à la fin du XIXe siècle, en plusieurs endroits du Sud des Etats-Unis. Si Kansas City, Memphis (Tennessee) et Saint-Louis (Missouri) peuvent être considérés comme des lieux de naissance du Jazz, il n'en demeure pas moins que c'est à La Nouvelle-Orléans, aux alentours de 1900, que naquit l'art instrumental du Jazz.

Cette ville, fort animée, avait connu une vie musicale importante. Les Noirs, enfermés dans un quartier réservé, s'amusèrent à recréer les airs qu'ils entendaient, s'assemblant en des orchestres d'instruments bricolés (banjos faits de boîtes à fromage) que l'on dénommait "Spasm Bands". A partir des brisures et des syncopes que les Noirs avaient apportées à ce répertoire, une nouvelle formule s'élabora, le "ragtime" (morceau de piano déhanché) qui fit fureur dans les bars de Storyville, le quartier réserve de La Nouvelle-Orléans.

Parallèlement aux Spasm Bands, existaient des fanfares noires, qui exécutaient des marches, des quadrilles ainsi que des morceaux composés par des pianistes de Stroyville. Ces ensembles se produisaient notamment pour des défilés, des enterrements, des réunions électorales, des bals de banlieue. Grâce à leur réputation, ils finirent par forcer les portes des "Saloons" et les dancings. C'est dans leur rang qu'il faudra chercher les premiers noms célèbres du Jazz: le trompettiste Buddy Bolden et les cornettistes Freddy Keppard et Bunk Jonhson.

De 1924 à 1930, naquit le style dit "Chicago", que l'on appelait aussi "Vieux Style". Celui-ci était une musique de jeunes Blancs, épris du style de La Nouvelle-Orléans et s'efforçant de le recréer. Les musiciens les plus emblématiques de ce courant sont le trompettiste et pianiste Bix Bierderbeck, le saxophoniste Frankie Trumbauer ou encore le guitariste Eddie Condone.

A l'aube des années trente, les clubs de Jazz connurent leur heure de gloire. Le Jazz et la danse ont permis à l'Amérique de s'amuser dans un climat de crise économique consécutive au crash boursier de 1929. Par ailleurs, le swing avait fait son apparition durant cette époque. L'orchestre du "roi du swing", Benny Goodman, toucha un vaste public au-delà des amateurs de Jazz. Or, en 1941, les Etats-Unis entrèrent dans la Seconde Guerre mondiale et de nombreux musiciens furent appelés sous les drapeaux et les taxes s'abattirent sur les spectacles, amorçant le déclin de ces orchestres.

IIl avait fallu attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour que l'on voie apparaître un nouveau style: le be-bop. En effet, des jeunes musiciens noirs s'émancipèrent dans des orchestres qui leur permettaient de survivre. Il s'agit, entre autres, de Charlie Parker (Saxophoniste) et Dizzy Gillepsie (Trompettiste) ou encore de Sarah Vaughan (chanteuse).

Les Jazzmen réinterprétèrent sur un plan musical le rythme des coups de matraque assénés par un policier Blanc sur la tête d'un Noir; "Bop! Bop!...Be Bop!". Les musiciens su Bebop entendaient imposer leur art. Ils y parvinrent: ainsi, les concerts de Dizzy Gillespie furent reçus, en Europe surtout, comme des événements culturels.

A la fin des années cinquante, le saxophoniste, Ornette Coleman, avait enregistré les disques "Something Else" et "Tomorrow is the Question", qui avaient donné naissance à une nouvelle révolution après celle du bebop: la "New Thing", qui correspondait à une prise de conscience politique des musiciens afro-américains.

Le Free-Jazz apparut aux Etats-Unis au début des années soixante, dans un contexte politique fort agité (guerre du Viêtnam) et à un moment où la contestation sociale grandissait au sein de la communauté noire. Le style "free-jazz" repose sur une relation entre le rythme et la mélodie. La section rythmique est incarnée par le batteur et la section mélodique par le saxophoniste. A partir de 1963, John Coltrane avait découvert les musiques indiennes (influence de Ravi Shankar) et africaines et pris le parti d'un langage "free" à langage mystique.

A partir des années quatre-vingt, les musiciens se sont affairés à métisser, à bricoler une musique originale, à partir de courants préexistants.

Le Jazz, une culture afro-américaine (Introduction).

Le Jazz est un genre musical apparu dans le Sud-Est des Etats-Unis, au début du XXe siècle, synthèse de racines africaines et d'influences occidentales (musique classique et instruments européens).

L'étymologie du mot "Jazz", popularisé en 1917 par l'Original Dixieland Jazz Band (quintette de musiciens Blancs) est confuse et diverse. Ce terme dériverait soit du mot "Jasm" (en argot américain, "force" ou "exaltation"), soit du chasse-beau (figure de danse du "cake-walk", très en vogue au XIXe siècle), soit de l'expression "Jazz-belles", nom argotiques donné aux prostituées de La Nouvelles-Orléans.

Selon le Dictionnaire du Jazz, celui-ci désigne " une résultante de l'intégration à des méthodes instrumentales, harmoniques et mélodiques inventées en Europe de traditions emmenées d'Afrique par les esclaves déportés aux Amériques..."

Pour les Afro-américains, les musiques militaires de la guerre civile américaine ont résonné comme des chants de liberté. La fin de la guerre et le surplus d'instruments de musique militaire qu'elle entraîna, ne fit qu'amplifier le mouvement. Parmi les premiers musiciens de Jazz, nombreaux étaient ceux qui vivaient de leur prestation dans de petites fanfares aux cuivres et batterie. L'une de ses principales influences, outre les chants religieux (Negro Spirituals, puis Gospel songs) et les worksongs (chants de travail des esclaves dans les plantations de coton) fut le blues, une musique rurale qui évolua avec la migration des populations noires vers les grandes agglomérations.

Comment se présente donc l'évolution historique de cette culture musicale? Dans quelle mesure la tradition africaine y marque une empreinte remarquable? Et qu'en est-il de l'influence des autres courants musicaux sur le Jazz?

Plan.

I- Une histoire du Jazz
A- Le Jazz, orphelin de l'Afrique
B- Evolution des styles

II-Une esthétique afro-américaine
A- Langage "jazzistique"
B- Des notes de "Gospel" et de "Blues"