Famine dans la Corne de l’Afrique : dans les griffes d’un désastre humanitaire. (Été 2011)
Le spectre de la famine est de retour dans la Corne de l’Afrique. Cette région est devenue, depuis cet été 2011, le théâtre d’un désastre humanitaire de grande envergure. Selon l’Office des Nations Unies chargé des affaires humanitaires (OCHA), 13,3 millions d’habitants de Somalie, du Kenya, de Djibouti, d’Ethiopie, et sans doute de l’Erythrée sont frappés par l’une des pires sécheresses depuis plus d’un demi-siècle, pâtissant ainsi d’une malnutrition inquiétante. En Somalie, la situation est d’autant plus critique, car aggravée par des conflits armés. Retour sur une tragédie humanitaire qui s’empare de ces pays, déjà en proie à des crises politiques et sociales.
Les causes de la famine : Voyage au bout de la crise alimentaire.
Plus de 13 millions de personnes souffrent, selon l’ONU, de « la plus grave crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique. » Selon Philippe Hugon, spécialiste de l’économie africaine à l’Institut français des relations internationales et stratégiques, l’IRIS, « il est difficile d’évaluer la gravité de ce type de situation, certains auteurs ayant tendance à gonfler les chiffres, mais tout laisse cette fois penser à une crise majeure. »
Sécheresses et pluies irrégulières, productions agricoles désastreuses et flambée des prix des denrées alimentaires ont été, ces derniers mois, un coup de semonce dans la Corne de l’Afrique. Jamais cette région n’avait affronté auparavant une crise alimentaire d’une telle ampleur. A la raréfaction de l’eau et des surfaces arables et à la hausse des prix des matières premières, s’ajoutent les ravages causés par les dérèglements climatiques. En effet, l’élément déclencheur de ce drame humanitaire est lié au grave épisode de la sécheresse qu’a connue la région depuis plusieurs mois. Cette sécheresse- la pire depuis 60 ans selon l’ONU- est engendrée ou plutôt accentuée par un réchauffement climatique imminent. Dans cette perspective, Chris Funk, chercheur au Réseau d’alerte avancée des famines, FEWS NET, souligne que « le réchauffement de l’Océan indien induit par les changements climatiques est associé à un assèchement de l’Est de l’Afrique de mars à juin, accentuant l’effet de la Niña [événement associé à de faibles précipitations dans la Corne de l’Afrique d’octobre à décembre], de sorte que l’automne 2010 et le printemps 2011 avaient une forte probabilité de détériorer les pluies de façon continue. » Hervé le Treut, climatologue au CNRS, explique quant à lui, que le réchauffement climatique peut contribuer à modifier le climat dans cette région. « Depuis 20 ans, la température des océans augmente, et les océans ont une forte influence sur les climats tropicaux (…) Nous savons que, de manière générale, si nous produisons des gaz à effet de serre, les risques de sécheresse augmentent dans les zones semi-arides comme la Corne de l’Afrique. »
La détresse dans laquelle sont plongés ces millions d’êtres humains est donc due à des pluies quasiment inexistantes dans cette région de l’Afrique. Résultat, les récoltes agricoles se sont effondrées et les prix sur les marchés envolés. Jamal Saghir, Directeur du développement durable pour la région Afrique à la Banque Mondiale, estime que « les variations internationales des prix de la nourriture provoquent des « chocs alimentaires » plus fréquents et plus longs et menacent la sécurité. Entre 2005 et 2010, le prix des céréales a doublé par rapport à la période 1990-2005. Celui du sucre a triplé. Celui du riz, quadruplé. Nous estimons qu’à cause de la flambée des prix, 44 millions de personnes ont sombré dans la pauvreté. Elles s’ajoutent au 1,2 milliard qui vivait déjà sous le seuil d’extrême pauvreté.»
L’ONU déclare qu’en Ethiopie, l'indice des prix à la consommation pour l'alimentation a augmenté de près de 41% en mai, et la hausse la plus frappante touche la Somalie : 270% d'augmentation des prix sur la même période. Du reste, la FAO note dans un rapport publié en juillet dernier, que plusieurs raisons expliquent cette volatilité des prix, dont notamment la diminution des stocks alimentaires, leur distribution inégale et la fermeture des exportations durant les crises. Wolfgan Fengler, économiste à la Banque mondiale, conclut, en somme, que ce drame humanitaire est « l’œuvre des hommes », le corollaire de prix significativement élevés de la nourriture et de l’énergie.
La Somalie, « épicentre de la crise ».
«La Somalie est le théâtre de crises récurrentes. Mais celle qui sévit aujourd’hui fait partie des pires de ces dernières années », résume Robert McCarthy, conseiller régional de l’Unicef en Afrique de l’Est et du Sud. Ayant déjà connu une crise alimentaire dans les années 1990, la Somalie bascule aujourd’hui dans un drame de sécurité alimentaire sans précédent. En effet, en raison de deux saisons de faibles pluies, la production de fruits, de maïs, de sorgho et de pommes de terre a régressé et le bétail dépéri. Conséquence : la population , qui vivait déjà sous le seuil d’extrême pauvreté, s’est encore enlisée dans la misère et continue d’affluer dans les pays limitrophes.
Mais, la crise alimentaire a dégénéré en catastrophe humanitaire en Somalie. A la sécheresse, s’ajoutent des conflits armés qui rendent le quotidien de la population somalienne épineux. En effet, le pays n’a cessé de faire parler de lui ces dernières années. Marqué par de violents combats entre le gouvernement de transition et les insurgés Shebab affiliés à Al-Qaïda, le pays porte les stigmates de vingt années de guerre civile. Les miliciens islamistes Shebab contrôlent la majeure partie du sud de la Somalie et environ la moitié de la capitale Mogadiscio alors que le gouvernement de transition est soutenu à bout de bras par la communauté internationale. La Somalie est maintenant un pays failli, sans armée ni institutions mais également un terreau fertile pour la piraterie et le fondamentalisme. Cette absence d’Etat central depuis 1991 pose un problème aux grandes agences internationales. En 2009, les Shebab ont déclaré que le Programme alimentaire mondial était non grata dans les zones qu’ils contrôlaient, puis ont poussé au départ des ONG. Roland Marchal, chercheur et spécialiste de la Somalie, affirme que « Le gouvernement de transition, adoubé par la communauté internationale, ne vaut guère mieux que les Shebab. En sept ans, il a été incapable d’installer une administration. L’armée s’est décomposée localement en petits groupes. » Pour fuir la guerre civile, les Somaliens se réfugient au Kenya, rendant la région encore plus fragile.
Il convient de rappeler qu’en 1992, après une famine dévastatrice et la guerre civile en Somalie, les pays occidentaux y sont intervenus militairement au nom du droit d’ingérence humanitaire, pour enrayer la tragédie de la famine. Il s’agit de l’opération « Restore Hope », qui a pourtant été vouée à l’échec. En 2011, ces mêmes pays éprouvent des difficultés quant à l’éradication de la famine dans ce pays fragilisé par la pauvreté, la sécheresse et le chaos politique. Jean Cyril Dagorn de l’Organisation Oxfam France, note que, lors du Sommet de la FAO en novembre 2009, les chefs d’Etats occidentaux s’étaient engagés à éradiquer la faim dans le monde (…) ayant promis de verser 22 milliards sur trois ans pour la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, seulement 26% des fonds ont été dépensés. » Toutefois, les Shebab, qui jusque-là interdisaient aux ONG occidentales d’accéder aux zones qu’ils contrôlent, ont semblé se rendre compte de l’urgence et ont donc levé leur interdit. C’est ainsi que le 13 juillet dernier, l’ONU a pu procéder à la livraison de quelques tonnes de médicaments, de vivres et de matériels
Cependant, le monde semble tourner le dos à ce pays qui ne cesse de sombrer dans le chaos. D’une « Perle blanche de l’Océan indien », la Somalie est devenue un pays tellement dévasté que les organisations humanitaires parlent d’une Somalie « impraticable ».
Les oubliés de la famine.
La Somalie a attiré, à juste titre, beaucoup d’attention. Mais en fait, toute la Corne de l’Afrique vit le drame qui se joue en Somalie. L’Ethiopie, où quatre millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire, fait partie des pays les plus touchés par la sécheresse. Dans le camp de Dolo Ado, situé dans le Sud du pays, plus de 78 000 personnes, la plupart fuyant la Somalie voisine, viennent s’y réfugier. Mais, bien que les conditions y soient, peut-être, plus propices, il n’en demeure pas moins que 41% des populations affaiblies souffrent de malnutrition, de maladies chroniques et peinent à accéder à l’eau. Afin d’éviter le spectre de la grande famine qui a rongé le pays entre 1984 et 1985, le gouvernement éthiopien poursuit désormais une stratégie agricole, en favorisant des investissements dans le matériel agricole, les fertilisants et les infrastructures. Pourtant, cette politique qui bien que promouvant la production, n’a pas réussi à endiguer la grande sécheresse qui sévit le pays. Par ailleurs, à un moment où la crise alimentaire est à son paroxysme, le gouvernement éthiopien loue à des investisseurs étrangers des terres cultivables, dont les récoltes sont destinées à l’exportation. En effet, les compagnies étrangères produisent des agrocarburants, minant ainsi les faibles ressources en eau disponibles pour l’agriculture vivrière.
Outre l’Ethiopie, l’Erythrée, ancienne région éthiopienne qui a fait sécession en 1991, vivrait, «des conditions probablement similaires à la sécheresse » qui traverse la Somalie, le Kenya ou l’Ethiopie, comme le soutient Johnnie Carson, Secrétaire d’Etat américaine adjointe aux affaires africaines. Or, le gouvernement érythréen, niant toute existence de famine dans le pays, a insisté, par la voix du conseiller du Président, Yémen Ghebreab, qu’ « il n’y a pas de pénurie alimentaire à l’heure actuelle, car la récolte de l’année dernière a été exceptionnelle. » Il est, en fait, difficile de connaître davantage sur les doutes qui planent sur la situation de la population, d’autant plus que le Programme Alimentaire Mondial a quitté le pays depuis six ans. Pourtant, le bureau de la Croix-Rouge dans la capitale érythréenne, Asmara, affirme que les pluies n’ont pas été abondantes cette année. Pour sa part, l’Organisation des Nations Unies, incapable d’affronter le silence des autorités érythréennes, a classé le pays « à risque », dans son plan de crise pour la Corne de l’Afrique. Les institutions d’aide alimentaire qui ne donnent pourtant pas de chiffres exacts, militent, quant à elles, pour que le gouvernement de ce pays consente à collaborer pour la réalisation d’une mission d’évaluation qui mesurera l’impact de la sécheresse, afin de pourvoir aux besoins de la population érythréenne.
Réactions de la communauté internationale.
Le Directeur de la FAO, Jacques Diouf, a annoncé, le 18 août dernier à Rome, lors d’une réunion technique de suivi sur la sécheresse, qu’ « il est inadmissible qu’à notre époque, avec les ressources financières, les technologies et l’expertise à notre disposition, plus de douze millions de personnes risquent aujourd’hui de mourir de faim. » Et d’ajouter : « Des plans d’investissement complets et déjà approuvés sont disponibles, mais c’est leur financement qui fait défaut. Si les gouvernements et leurs partenaires donateurs n’investissent pas maintenant, la famine épouvantable que nous tentons de combattre maintenant reviendra et ce sera une honte pour la communauté internationale. »
L’ONU a lancé un appel d’urgence à plus de contributions à son fonds de lutte contre la famine dans la Corne de l’Afrique, jugeant nécessaire une aide alimentaire qui avoisine les 2,4 milliards de dollars, alors que 1,1 milliard de dollars doit encore être financé. L’Union africaine a mobilisé, le jeudi 25 août, à l’occasion d’une conférence des donateurs africains qui s’est tenue à Addis Abeba, une aide de 356 millions de dollars, alors que l’Union européenne s’est engagée à verser plus de 680 millions d’euros d’ici 2013. Le Royaume-Uni a, pour sa part, déclaré qu’il verserait 52,5 millions de livres et le Canada s’est, de son côté, engagé à fournir une aide alimentaire de 50 millions de dollars. Quant à l’Organisation de coopération islamique (OCI), elle a promis d’apporter une aide de 350 millions de dollars à la Somalie.
Mais pour assurer une sécurité alimentaire et éviter ces épisodes de famine à l’avenir, il est nécessaire de penser, non seulement à des aides financières d’urgence, mais aussi et surtout à des solutions à long terme. Comme le souligne Sylvie Brunel, géographe et ancienne présidente d’Action contre la Faim, « seul l’investissement dans le secteur agricole, la mise en place de filières efficaces et la rémunération correcte des cultivateurs et des éleveurs permettent de faire disparaître la faim. Une sécheresse fonctionne comme un révélateur qui n’engendre la famine que s’il y a des dysfonctionnements préalables. » Ainsi, l’amélioration des politiques publiques de l’irrigation et des techniques agraires dans les pays en développement, le soutien des agricultures fragiles et l’existence de réserves mondiales d’urgence sont autant de mesures qui contribueraient donc à lutter d’une manière efficace et à long terme contre les famines et sécheresses. Désormais, l’actualité sur cette crise alimentaire aiguë permet aux populations les plus fragiles de la Corne de l’Afrique de retrouver une place dans le débat public.